Le nourrisson qui voulait se mettre debout avant de ramper

samedi 1er février 2020, par Charlotte Duroyon

L’enfant qui voulait se mettre debout avant de savoir ramper

A propos du chemin du développement psychomoteur

La petite histoire "vraie" :

"Je suis Audrey, je travaille dans un multi-accueil.
Bastien, 5 mois, est arrivé ce matin accompagné de sa maman. "Figurez-vous, depuis hier soir, il veut déjà se mettre debout !"
Je me suis sentie à la fois perplexe et embêtée en entendant cela.. je me suis demandée : est-ce vraiment bon pour lui de se mettre déjà debout..?....et en même temps j’ai bien vu le sourire de Bastien, lorsque sa maman m’a fait la démonstration !!"


"Moi, je suis Julie, je suis la maman de Bastien, 5 mois.
Il y a quelques jours, sur le canap’, je le tenais en face de moi, "verticalement" ; on était "yeux dans les yeux", on jouait à se regarder et à faire des petites grimaces, des jeux de parent-bébé, quoi ! ;)
Et là, tout à coup, il a poussé sur ses jambes, comme s’il voulait déjà se mettre debout !...Tout en faisant de grands sourires."


Ça vous rappelle quelque chose ?

Professionnels, parents : lorsqu’un bébé de 5 mois, tenu verticalement, part dans une forme extension dès que son pied touche quelque chose : vous pourriez penser que votre/le bébé veut se mettre debout, et qu’il aime ça puisqu’il sourit ! Pour autant, cela ne correspond pas à la logique inhérente du développement psychomoteur. Voyons ici pourquoi

La logique du développement psychomoteur

Le développement psychomoteur est programmé génétiquement. La nature a tout prévu !
Pourvu que l’environnement soit en cohérence avec celui-ci, le bébé va expérimenter des étapes successives et des passages (dos au ventre, ventre au ramper..se mettre en 4 pattes...) qui lui permettent de construire des schèmes moteurs dans une logique inhérente au développement. Ainsi une organisation du mouvement et des déplacements se construit petit à petit.

Avec chaque étape et chaque passage, des bases se posent sur lesquelles, plus tard, se mettront en place des mouvements plus complexes, qu’on appelle praxies.

Ainsi, le nourrisson vit d’abord des postures et mouvements d’enroulements et de rassemblements ; puis s’y rajoutent des mouvements de "repousser du sol" (terme selon Coemann) appelés encore "prises d’appuis" au sol (Michèle Forestier en parle ainsi). Enfin, et seulement après, viennent des mouvements "d’aller vers"(terme de Coemann). Les enroulements, rassemblements, combinés aux transferts de poids, prise d’appuis, pivots, combinés à des repoussés du sol et mouvements "d’aller vers" sont les ingrédients de différents modes de déplacements, et de la marche. Au sol, le bébé prépare donc toutes les composantes nécessaires pour, plus tard, pour l’acquisition de la marche.

Sauf que le bébé va aussi s’adapter aux habitudes qu’on lui propose : des attitudes et des habitudes peuvent influencer le développement vers un autre chemin que celui prévu par la Vie.

Et cette situation de "canapé-debout" ?

Lorsque la plante de pied du bébé de 5 mois touche un support, un mouvement lié à un réflexe de déclenche, si bien que le bébé "s’étend".

De loin, cela pourrait ressembler à un mouvement de prise d’appui et de repoussé du sol.

De près, quand la voûte du bébé touche le canapé, cela active un réflexe qui s’active sous la pression exercée sur sa voûte plantaire : il s’agit d’une mise en extension du corps.

Et le sourire ?
Le sourire du bébé peut faire penser à une intention de se mettre debout

Or, à cet âge, le bébé n’a pas encore de réel projet moteur.

En fait, le bébé sourit parce nous sommes avec lui, dans des échanges de sourires et de regards, d’oeil à oeil à même hauteur : comme ici sur les photos .

Qui aurait pu le deviner, sans avoir de précisions sur le développement du tout-petit ?

Quelle conséquence, pour des situations répétées de "canapé-debout" ?

Le bébé risque de s’habituer à des mouvements et postures qui ne correspondent pas à ce qu’il a besoin de vivre : il va alors même "demander" la situation, non parce qu’elle correspond à ses besoins psychomoteurs, mais parce qu’il en a pris l’habitude : la situation fait partie de son univers, des sensations connues, donc il la réclame. .

Pour autant l’action répétée d’être tenu debout risque "d’accentuer une hypertonie axiale déjà existante (un bébé qui se cambre beaucoup, les bras en arrière)". Cela peut l’amener vers une motricité dans laquelle "il se tient de l’intérieur", plutôt que de prendre appui sur le sol.

Prise d’appui sur le sol, ressenti de solidité et construction de la confiance

Pouvoir prendre appui sur le sol, c’est venir éprouver la solidité du sol, auquel il est possible de se fier ; c’est-à-dire de sentir la con-fiance...

... Et prendre appui implique au préalable d’avoir pu confier son poids au sol, dans une relation de confort et de confiance avec le sol.

Et maintenant, on fait quoi ?
Il importe donc d’informer les parents, de ce risque d’interprétation" du bébé de 5 mois qui paraît vouloir se mettre debout" car cette interprétation dessert le bébé.

Bien que le bébé sourit, cette expérience du "canapé-debout" ne correspond pas à son besoin psychomoteur et elle peut contribuer à l’éloigner de l’exploration de la prise d’appui et du repousser du sol, ce qui correspond à ce qu’il a besoin de vivre à ce niveau de développement psychomoteur.

Autres situations à éviter

- Laisser le bébé trop longtemps dans le transat
- Positionner l’enfant assis avant qu’il n’ait découvert le plaisir de se déplacer au sol. L’idéal est "d’attendre" que le bébé sache sortir tout seul de la position assise, pour l’installer ainsi sur un tapis (et vous verrez alors qu’il n’y restera pas !).
- L’encourager à pousser sur ses jambes très tôt. Cela le conduit trop tôt vers la verticalité et peut l’empêcher de découvrir les déplacements au sol.
- Faire marcher un bébé qui n’est pas prêt.
- Utiliser le trotteur (youpala).

“Charlotte Duroyon”